Grande Sécu : la solution est délétère. Une contreproposition est nécessaire.

Josette GUÉNIAU

25/01/2022

Vers un enfer pavé de bonnes intentions

L’avalanche réglementaire sur les complémentaires santé a suivi quatre logiques différentes depuis le début des années 1990, incohérentes voire incompatibles entre elles : l’universalisation de la couverture complémentaire et son uniformisation entre les acteurs d’une part, la concurrence pour baisser les prix d’autre part, la compensation du désengagement de la Sécurité sociale, puis la lutte contre le renoncement aux soins pour raisons financières. On peut citer pour emblème le contrat responsable. Ce dernier visait en 2006 à encadrer la complémentaire santé, afin de ne pas gêner le contrôle du parcours médecin traitant instauré pour lutter contre la consommation médicale injustifiée, puis en 2015 il limitait la prise en charge  des dépassements d’honoraires, enfin en 2020, avec le 100 % santé, loin de limiter la consommation, il la favorisait sur les postes optique, dentaire et audiologie, par l’instauration d’un remboursement obligatoire sans reste à charge de certains paniers.

Les incohérences de ces politiques successives ont produit un marché de la complémentaire santé    « défaillant » : inégalité de traitement, d’accès financier aux soins, inflation de coûts, renchérissement des garanties complémentaires devenue pour certaines personnes, il est vrai, difficilement supportable et dont la rentabilité pour les Organismes Complémentaires (OC) devient problématique.

Le Haut Comité pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) propose un scénario de disparition des complémentaires santé pour répondre aux maux que l’avalanche réglementaire, qui ne cesse de s’abattre sur les complémentaires santé depuis 30 ans, a elle-même créé. Mais ce scénario de » Grande Sécu » constituerait une énième évolution réglementaire, qui aggraverait une dette sociale abyssale, tout en créant une médecine à deux vitesses.

En effet, ce scénario apporte son lot de dépenses supplémentaires (plus de 22 Mds € selon le rapport du HCAAM, sans compter la dérive naturelle des dépenses de 4 % par an en projection), pour un budget de la Sécurité sociale, déjà en déficit de près de 93 Mds € en cumul des années 2020 à 2022 selon la Lois de Financement de la Sécurité Sociale LFSS 2022, et alors que l’amortissement de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) est déjà prorogé à 2023.

Il est d’autant plus nécessaire de ne pas faire payer aux jeunes générations des dettes accumulées par la consommation de soins de leurs aînés, notamment celles induites par le 100 % santé (les dépenses optiques, dentaires et d’audioprothèse sont majoritairement celle des personnes âgées), qui se retrouveraient prises en charge par la solidarité nationale dans le scénario de Grande sécu. Alors qu’aujourd’hui, le choix de solvabilisation via la complémentaire santé permet l’ajustement, par les individus ou par des collectifs spécifiques (comme une entreprise par exemple), entre besoins de santé et de couverture ; ceci, tant concernant la protection contre de lourds aléas (hospitalisation, maladies redoutées), que vis-à-vis d’une couverture incluant aussi les dépenses courantes, faibles voire de confort.

Le scénario de « Grande Sécu » privilégie un seul enjeu électoraliste de court terme : redonner quelques centaines d’euros en pouvoir d’achat aux Français via l’économie sur les frais de gestion des OC. Or cette étatisation totale du financement du système, certes répondant à de bonnes intentions mais se heurtant au manque cruel de moyens conduira inexorablement à une uniformisation et à un rationnement de l’accès aux soins. Comme dans tous les autres pays qui n’ont pas notre système dual, la disparition de celui-ci aboutirait en effet à un système de soins à deux vitesses : les personnes aisées et bien portantes pourraient souscrire des contrats d’assurance privée très généreux, leur donnant accès à des soins de confort voire à des coupe-files, tandis que les moins favorisés devraient se contenter d’un niveau de soins basique, dépourvu d’accès à l’innovation et à l’excellence médicale.

Les scénarios du HCAAM ne traitent pas les grands enjeux du système de santé français.

Suite à la crise sanitaire, le sous- investissement dans les hôpitaux publics, la recherche et l’innovation organisationnelle, technologique et médicale ne sont plus à démontrer. Dans ce contexte, l’Etat a bien compris l’intérêt de la coopération public-privé : pour le traitement des malades de la Covid-19 par les établissements privés, par l’allégement de la pression tarifaire sur les industries du médicament, par la mise en œuvre du PariSanté Campus, regroupant tant de grands organismes publics que des acteurs privés de la santé. Pourquoi en serait-il autrement concernant le financement du système de santé ?

Le scénario de la « Grande Sécu », assimilé dans le rapport du HCAAM, à la généralisation du régime des Affections de Longue Durée (ALD) réarme la bombe financière que ces dernières représentent. Leur poids est en effet déjà aujourd’hui, de 60 % des dépenses de l’Assurance maladie, hors crise sanitaire. Or le traitement efficient des malades chroniques et des épisodes d’hospitalisation fréquents d’une population vieillissante nécessite le passage d’un paiement des professionnels et des établissements de santé du « tout à l’activité » à un paiement mixte activité-forfait. Cette évolution a fait l’objet du rapport Aubert en 2018, d’inscriptions dans les LFSS successives, d’une mise en œuvre concernant les seuls insuffisants rénaux chroniques et d’un espoir de déploiement pour les diabétiques en 2022. En effet, seul ce type de financement des prestations de soins permet d’inclure la rémunération de l’accompagnement du patient sans surenchère et en rémunérant la qualité des soins : éducation thérapeutique, suivi des indicateurs de santé, absence de redondance inutile voire dangereuse de traitements, de ré-hospitalisations intempestives, …Nul doute que ce passage nécessite un investissement dans une rémunération forfaitaire exigeante mais attrayante pour les professionnels et les établissements de santé concernés. Or le HCAAM n’examine ni les conditions financières ni les aspects opérationnels de cette transition et se contente, sans le justifier aucunement, d’indiquer que cela sera plus aisé avec un seul payeur.

Le HCAAM n’apporte pas non plus de contribution en vue du financement du vrai problème de renonciation aux soins, au-delà de l’aspect financier : l’accès physique, qu’un déploiement massif de la télémédecine, de la délégation de tâches et de responsabilité des soins dans le cadre de coopérations interdisciplinaires pourra rendre possible.

De même, ce rapport ne contribue nullement à combler la grande lacune française en termes de santé : la prévention. Cette dernière est en effet bien le « parent pauvre » de notre système. Avec à peine 2 % des dépenses de santé consacrés à la prévention, la France est en effet le pays dont la contribution proportionnelle à la prévention est la quatrième la plus faible de l’OCD). Sera-t-il possible de faire plus et mieux en se passant des OC, qui peuvent mieux cibler et agir en prévention auprès de groupes d’individus particuliers, par exemple dans une branche d’activité professionnelle ?

Un cofinancement à réinventer

Les errances du contrat responsable ont cornérisé la complémentaire santé sur la gestion du « petit risque », tel que très maladroitement désigné par un candidat à l’élection présidentielle de 2017. Or la vocation de l’assurance est de couvrir les conséquences financières d’un évènement aléatoire, non intentionnel et non prévisible, auquel les finances d’un ménage ne peuvent faire face sans difficulté, soit les gros pépins de santé, qui entraînent des soins coûteux (l’hospitalisation) et / ou sur une durée longue (les maladies chroniques) et non pas les dépenses de consommation usuelle et/ou à faible coût moyen voire les besoins de confort ou d’esthétique.

Il faut donc se saisir de l’opportunité de l’évolution de la rémunération des soins du « tout à l’acte » à un mix « acte-forfait de suivi ou populationnel », pour oser une nouvelle complémentarité entre la sécurité sociale et les complémentaires santé et responsabiliser également ces dernières, en complémentarité de la Sécurité sociale, comme c’est leur vocation, dans le financement des risques les plus lourds et notamment l’hospitalisation et les maladies chroniques. Les OC pourraient utilement, par exemple, intervenir dans la rémunération forfaitaire du « parcours de soins », en le bonifiant en termes d’éducation thérapeutique, suivi, accompagnement, télémédecine par exemple ou en élargissant les critères d’éligibilité des personnes. Les complémentaires santé pourraient également contribuer au financement de services santé adaptés, dans le cadre des « épisodes de soins », en cas d’hospitalisation.


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