Comprendre les comportements vaccinaux pour mieux concevoir les politiques publiques

Remerciements:

Je remercie chaleureusement le Collège des Économistes de la Santé pour l’honneur qui m’a été fait en m’attribuant le Prix de thèse du Collège des Économistes de la Santé 2025.
J’exprime également ma profonde gratitude à Ève Caroli et Clémentine Garrouste, mes directrices de thèse, pour leur accompagnement exigeant et bienveillant, ainsi qu’à Anne-Laure Samson, avec qui il a toujours été un réel plaisir de collaborer.

Introduction

Depuis plus de deux siècles, la vaccination incarne la promesse d’une prévention universelle. Née d’une intuition audacieuse, celle d’Edward Jenner en 1796, puis perfectionnée par Pasteur, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’elle sauve aujourd’hui entre 3,5 et 5 millions de vies par an.[1]                  
Mais la réussite scientifique ne garantit pas la réussite sociale. Entre confiance, peur, désinformation et contraintes pratiques, la vaccination reste un terrain mouvant pour les décideurs publics.    
Qu’est-ce qui, dans la conception d’une campagne, convainc réellement les individus de se faire vacciner ? Est-ce la gratuité, l’information, la simplicité d’accès ? C’est à ces questions que mes travaux apportent des éléments de réponse.            
Les décisions de se faire vacciner ne sont jamais purement médicales : elles mêlent perception du risque, confiance envers les institutions et facilité d’accès. C’est à cette intersection entre comportements et politiques publiques que se situent mes recherches, à travers trois études menées en France et en Europe.     
Ce texte propose une synthèse de ma thèse en économie de la santé, consacrée à l’étude des comportements vaccinaux et à l’évaluation des politiques publiques, avec pour objectif de mieux comprendre comment les dispositifs institutionnels influencent les décisions individuelles de prévention.

Quand la vaccination à l’école change les comportements

Au milieu des années 1990, la France déploie une vaste campagne de vaccination contre l’hépatite B. L’État veut frapper fort : information grand public, messages dans les médias et vaccination gratuite dans les collèges et lycées.            
Dans (Garrouste, Juet, and Samson 2023), nous évaluons l’impact de cette politique sur les comportements vaccinaux des élèves. L’analyse repose sur les données du Baromètre Santé 1995, une enquête nationale représentative menée par Santé publique France, qui recueille des informations détaillées sur la santé, les comportements de prévention et la vaccination des enfants. Les effets sont immédiats : la probabilité d’être vacciné contre l’hépatite B augmente de plus de 40 points de pourcentage. L’objectif consistant à renforcer rapidement la protection contre le virus est donc atteint.           
Mais un effet inattendu apparaît : dans les mêmes générations, la vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) diminue, d’environ 13 à 15 points de pourcentage. Non pas parce que les familles rejettent le vaccin, mais parce que leur attention s’est déplacée. Lorsque toute la communication se concentre sur un vaccin, les autres passent au second plan.
Cette dynamique d’éviction involontaire montre que les politiques publiques ne produisent pas seulement des effets directs : elles réorganisent les priorités des individus et des professionnels de santé.               
Ces résultats soulignent la nécessité de concevoir les politiques vaccinales de manière intégrée, en coordonnant les messages et la planification des campagnes pour éviter les effets de concurrence entre vaccins.

Informer et inviter : les forces et les limites d’une politique efficace

Chaque automne, en France, les personnes âgées reçoivent une lettre d’invitation à la vaccination contre la grippe, accompagnée d’un bon de prise en charge. C’est une politique simple : informer, rappeler et lever la barrière financière d’accès au service.       
Dans (Garrouste, Juet, and Samson 2025), nous montrons que la réception de cette lettre entraîne une forte hausse de la probabilité d’être vacciné, de l’ordre de 22 à 25 points de pourcentage. Malgré cette progression, le taux de couverture reste inférieur à l’objectif de 75 % fixé par l’OMS. En 2014, environ 2 000 décès ont été évités grâce à la vaccination des personnes de plus de 65 ans, mais 3 000 vies supplémentaires auraient pu l’être si la couverture avait atteint ce seuil.             
L’analyse s’appuie sur les données 2014 de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS) de l’IRDES, représentatives de la population française, qui permettent de relier la réception de l’invitation, la vaccination effective et l’attitude face au risque. Ces résultats soulignent l’efficacité de la campagne, notamment parce qu’elle renforce la conscience d’éligibilité et la perception du risque. Toutefois, son impact n’est pas uniforme : les personnes les plus prudentes réagissent davantage à l’invitation, tandis que celles plus enclines à prendre des risques y sont moins sensibles. Pour accroître la couverture vaccinale, il faut donc réussir à mobiliser ces publics moins réceptifs et souvent moins attentifs aux messages de prévention. Les médecins généralistes pourraient jouer un rôle clé à ce sujet : en s’appuyant sur la relation de confiance qu’ils entretiennent avec leurs patients, ils peuvent lever certaines réticences et freins et rendre la vaccination mieux intégrée dans le parcours de soins.

La gratuité, un levier au-delà du prix

À l’échelle européenne, la vaccination contre la grippe repose sur un principe commun : chaque pays organise chaque année une campagne d’information destinée aux personnes âgées ou vulnérables. Mais les modalités diffèrent, car certains États y ajoutent la gratuité du vaccin pour les groupes ciblés.                 
Ce chapitre de thèse s’appuie sur les données de la huitième vague de l’enquête SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), menée entre 2019 et 2020 dans 19 pays européens. Cette enquête représentative interroge des individus de 50 ans et plus sur leur santé et leur comportement vaccinal. En comparant les taux de vaccination autour des seuils d’âge définis par chaque pays, il est possible d’identifier l’effet spécifique des dispositifs gratuits sur la couverture vaccinale.               
Les résultats montrent un effet net : les dispositifs gratuits augmentent la vaccination d’environ six points de pourcentage au seuil d’âge visé. Ce gain est substantiel, proche de celui observé dans les programmes combinant information et gratuité. L’effet de la gratuité ne semble toutefois pas s’expliquer uniquement par la suppression d’un coût financier. L’analyse ne met en évidence aucune différence selon le niveau de revenu, l’impact positif étant similaire dans toutes les catégories sociales. Cela suggère que d’autres mécanismes sont à l’œuvre.
Une première hypothèse renvoie à l’effet de prix zéro : lorsqu’un service devient gratuit, il attire davantage l’attention et paraît plus naturel ou attendu, indépendamment de son coût réel. Une autre explication possible tient à la simplification administrative souvent associée à la gratuité, avec moins de démarches et moins d’incertitude sur le lieu ou les modalités de vaccination. Dans les deux cas, la gratuité ne se limite pas à lever une barrière financière, elle peut aussi réduire des freins pratiques ou psychologiques à l’acte de vaccination.   
Enfin, certains choix institutionnels semblent jouer un rôle complémentaire. Les pays qui permettent la vaccination en pharmacie ou qui appliquent un seuil d’âge proche de la recommandation de l’OMS présentent, en moyenne, une couverture plus élevée. Sans prétendre définir un modèle unique, ces résultats invitent à réfléchir à la manière dont les politiques peuvent lever l’ensemble des obstacles financiers, pratiques ou symboliques qui freinent encore l’accès à la vaccination.

Trois enseignements pour les politiques publiques

Ces trois études, menées dans le cadre de ma thèse de doctorat, dressent un panorama cohérent des comportements vaccinaux. Elles montrent que les individus réagissent autant à la forme des politiques qu’à leur contenu.

Les campagnes ciblées doivent d’abord être pensées dans un cadre global : mettre l’accent sur un vaccin spécifique peut, temporairement, détourner l’attention des autres. L’efficacité d’une politique se mesure aussi à sa capacité à préserver un équilibre d’ensemble entre les différentes vaccinations.
L’information fonctionne, mais son impact dépend du public et du contexte. La lettre antigrippale française montre qu’un message clair et une prise en charge identifiable peuvent mobiliser une large partie de la population. Mais tous ne réagissent pas de la même manière, ce qui invite à réfléchir à des formes d’accompagnement plus ciblées, par exemple à travers le rôle des médecins généralistes ou de dispositifs simplifiant l’accès à la vaccination.  
Enfin, la gratuité apparaît comme un levier prometteur, dont l’effet dépasse la seule question du coût. L’analyse de données européenne suggère qu’elle agit aussi en rendant la vaccination plus simple et mieux intégrée dans le parcours de soins. Elle ne supprime pas seulement une barrière financière : elle aide à lever des freins pratiques ou psychologiques qui limitent encore l’adhésion.          
Au-delà de leurs contextes spécifiques, ces résultats convergent vers une même idée : les politiques efficaces sont celles qui tiennent compte des comportements réels, des contraintes du quotidien et des mécanismes parfois invisibles qui orientent les décisions individuelles. Évaluer les politiques vaccinales, c’est donc comprendre la rencontre entre une intention collective et une multitude de choix personnels. C’est à cette intersection que se joue, aujourd’hui encore, l’efficacité des campagnes de vaccination.

Références

Garrouste, C., A. Juet, and A. L. Samson. 2023. ‘Direct and Crowding-out Effects of a Hepatitis b Vaccination Campaign’. Economics & Human Biology 51:101279. doi:https://doi.org/10.1016/j.ehb.2023.101279.

Garrouste, C., A. Juet, and A. L. Samson. 2025. ‘Vaccination and Risk Aversion: Evidence From a Flu Vaccination Campaign’. Health Economics. Online ahead of print. doi:https://doi.org/10.1002/hec.70037.

Site Web : University webpageGoogle site


[1] https://www.who.int/fr/health-topics/vaccines-and-immunization#tab=tab_1


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