Le vieillissement n’est pas un destin budgétaire

Nicolas SIRVEN

30/10/2025

Nicolas Sirven

Professeur des universités à l’EHESP

Nicolas.SIRVEN@ehesp.fr

Article

Les dépenses de santé augmentent dans tous les pays développés, et le vieillissement démographique est souvent montré du doigt. Pourtant, les travaux empiriques ne disent pas tous la même chose. Ce billet revisite deux études françaises majeures sur le rôle du vieillissement dans la dynamique des dépenses de santé : Dormont, Grignon & Huber (2006) et d’Albis & Cusset (2018). Leurs conclusions, à première vue contradictoires, offrent en réalité des éclairages complémentaires.

L’étude de Dormont, Grignon et Huber, fondée sur des données individuelles pour la période 1992–2000, conclut que le vieillissement pèse peu sur la hausse des dépenses. En appliquant le profil de dépense par âge observé en 1992 à la pyramide des âges de 2000, l’effet démographique ressort marginal. La croissance des dépenses de santé s’explique surtout par une hausse « à âge donné », liée à la diffusion des innovations médicales, à l’intensification des pratiques et aux réformes organisationnelles. En euros constants, ce sont donc la technologie et l’organisation des soins qui tirent les dépenses vers le haut.

D’Albis & Cusset, au contraire, adoptent une perspective macroéconomique et étudient la période 1990–2010 en raisonnant en part de PIB. Leur constat est que les profils de dépense par âge rapportés au PIB par tête sont stables. Autrement dit, les dépenses de santé individuelles progressent au même rythme que le revenu moyen, ce qui suggère une élasticité-revenu proche de 1. Dans ce cadre, les facteurs non démographiques – pratiques, technologie, institutions – ne font pas croître le ratio dépenses/PIB. C’est la démographie, et plus particulièrement la structure de la population, qui devient le principal moteur de la croissance des dépenses. Le déplacement de la génération du baby-boom vers les âges les plus coûteux explique l’essentiel de l’augmentation.

Ces deux résultats ne sont pas incompatibles. Ils ne portent d’ailleurs pas exactement sur la même période : la montée en charge de la génération du baby-boom est plus tardive et se ressent moins dans l’étude de Dormont, fondée sur les années 1990. Dans ses travaux ultérieurs, Dormont (2009) met en évidence un effet plus marqué du vieillissement, à mesure que cette génération atteint les âges de forte consommation de soins. Par ailleurs, tout dépend de la métrique des dépenses retenue. En euros constants, la hausse à âge donné est bien réelle et reflète la transformation des pratiques médicales. Mais rapportée au PIB, cette hausse disparaît, car elle suit le rythme de croissance de l’économie. Seule la vague démographique des baby boomers détermine la progression du poids de la santé dans la richesse nationale. Cet « effet structure » a été minimisé dans les modèles de prévision parce que ces derniers reposaient sur l’hypothèse d’une élasticité-revenu supérieure à l’unité.

En définitive, ces deux études ne s’opposent pas mais se complètent. Elles concluent toutes deux sur l’importance de l’objectif d’accroître l’efficience du système de santé. Les travaux plus récents montrent d’ailleurs que des efforts ont déjà été réalisés pour contenir la dynamique démographique, notamment via les réformes des retraites et l’adaptation du financement de la protection sociale (Cusset et al., 2021). Une réponse complémentaire pourrait aussi passer par un financement accru via d’autres leviers – réallocation de certaines dépenses publiques, ou encore une fiscalité renforcée, qui après la taxe sur les multinationales trouverait sa suite logique dans une taxe de type Zucman sur les très hauts patrimoines. Rappelons aussi que la « vague » démographique des baby-boomers atteindra son point culminant autour de 2050. Les éventuels déficits de la Sécurité sociale liés à cette charge seraient donc par nature temporaires. L’État pourrait s’en porter garant… ce qui, au fond, correspond déjà à son rôle actuel à travers les mécanismes de prise en charge de la dette sociale. On peut néanmoins redouter que les critiques du modèle social trouvent une résonance accrue dans ce contexte futur de fragilité financière. Enfin, raisonner en part de PIB permet de rappeler une évidence souvent négligée : la croissance économique allège mécaniquement le fardeau budgétaire. Beaucoup d’économistes, au premier plan desquels les prix Nobel Jean Tirole et Philippe Aghion, déplorent que la politique de croissance économique soit la grande oubliée du débat public français.

Le vieillissement est inéluctable, mais il n’est pas un destin budgétaire : la façon dont nous choisissons d’y répondre reste une affaire de politique publique.

Références

d’Albis, H., & Cusset, P. Y. (2018). Déterminants démographiques de l’évolution des dépenses de santé en France. Revue française d’économie, (2), 113-146.

Cusset, P. Y., d’Albis, H., Navaux, J., & Pelletan, J. (2021). Protection sociale: qui paie le coût du vieillissement de la population?. La note d’analyse de France Stratégie103(5), 1-16.

Dormont, B. (2009). Les dépenses de santé : une augmentation salutaire ? Cepremap, OPUS 15, Paris : Éditions Rue d’Ulm / Presses de l’École normale supérieure.

Dormont, B., Grignon, M., & Huber, H. (2006). Health expenditure growth: reassessing the threat of ageing. Health economics15(9), 947-963.


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